Menue-monnaie, stigmates de l’inflation passée et… de celle à venir.

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Les voyages à l’étranger laissent toujours s’entasser au fond des porte-monnaie une certaine quantité de menue monnaie dont l’un des premiers gestes consiste à se débarrasser dès la fin des vacances. Ainsi en était-il à mon retour des Etats-Unis, quand, par hasard, mon regard s’est porté sur un cent frappé de 1964. J’ai alors observé plus attentivement le contenu de ce tas de cents, dimes et autres quarters drainés durant mon voyage, augmenté de celui d’une de mes filles que la démarche commençait à intriguer. Prises à ce jeu de remonter l’histoire et stimulées par de nouvelles trouvailles, nous en sommes arrivées à trier ces pièces par décennie pour aboutir à ce résultat inattendu : sur une quantité de 107 pièces de un cent recueillies dans le courant de l’été 2013, trois dataient des années soixante, douze des années soixante-dix et onze des années quatre-vingts. Autrement dit, 24 % de nos fonds de poches provenaient encore des années d’une inflation à deux chiffres durant lesquelles la machine à frapper ne s’était, à l’évidence, guère relâchée.

Mais qu’en était-il de la suite ? Pourrions-nous observer les effets de la désinflation alors que notre échantillon était forcément biaisé par la moindre érosion d’un stock de monnaie plus récent ? Nous avions respectivement 13 et 18 pièces marquées des années 1990 et 2000. Difficile de convaincre que ces quantités, une fois pris en compte le facteur temps, correspondaient selon toute vraisemblance, à une proportion bien plus faible que celle des deux décennies antérieures. La démonstration paraîtrait, à coup sûr, tirée par les cheveux. Sur le point d’abandonner, réapparut un tas de pièces laissées de côté, celui de la période la plus récente, allant de 2010 à 2013. Celles-là étaient naturellement beaucoup plus nombreuses, 50 pièces au total, pour une période de trois ans et demi seulement, soit, en équivalent décennal, 142 pièces !

Les décomptes précédents apparurent dès lors sous un jour nouveau. Le taux d’érosion du stock de monnaie n’ayant pas de raison de fluctuer sauvagement d’une décennie à l’autre, nous pourrions avoir une idée de la taille actualisée de ces différents échantillons en les corrigeant d’un facteur d’érosion. Nous effectuons alors quelques calculs de coin de table. Un premier sur la base d’un taux annuel d’érosion de 5,5 %, correspondant à la croissance de l’agrégat M1 de la masse monétaire américaine au cours de la période, le second, de 6,7 %, correspondant à la croissance annuelle moyenne du PIB nominal des Etats-Unis, ce dernier étant plus proche de ce que suggérait notre propre échantillon. Nous obtenons ainsi, en théorie, des masses ajustées et donc comparables dans le temps qui, exprimées en base 100 en début de période, font ressortir les résultats suivants :

  • La quantité actualisée de notre échantillon enregistre un pic durant la décennie soixante-dix, avec un indice 234 pour un taux d’érosion de 5,5%, ou de 209 pour un taux d’érosion de 6,7%,
  • elle décline ensuite de manière constante, touchant un point bas dans les années deux mille, à respectivement 70 et 45,
  • elle s’inverse ensuite brutalement au cours de la dernière période correspondant aux millésimes 2010 à 2013 de nos piécettes, pour s’établir dans le premier cas à un niveau jamais égalé de 318 et, dans le second, à un niveau à peine inférieur à celui des années soixante-dix.

La tentation est bien évidemment très grande de comparer ces données avec celles de l’inflation des différentes périodes. La démonstration est, sans réelle surprise, plutôt convaincante.

Porte-monnaie

La suite ne surprendra guère : au rythme auquel évolue la quantité de monnaie en circulation depuis 2010, un aboutissement inflationniste de la crise reste de loin le plus vraisemblable. Que le processus prenne à l’évidence plus de temps qu’anticipé ne modifie pas cette conclusion,  que nous pouvons tous déjà palper dans nos fonds de poches. 

L’essentiel de la rentrée 2013

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Après une période estivale globalement calme, la rentrée se présente sous un jour beaucoup plus instable pour les marchés financiers. Les incertitudes relatives à un changement possible de la politique de la Fed se sont intensifiées dans le sillage de statistiques américaines décevantes et de la crise des devises des pays émergents, quand s’ajoutent maintenant à la nervosité ambiante, les craintes d’une possible intervention armée en Syrie. Nous passons ici en revue les principaux sujets d’importance pour cette rentrée. 

  • Risque de frappes aériennes en Syrie. L’éventualité d’une intervention imminente a reculé durant le week-end avec la décision du Président Obama de porter le débat devant le Congrès américain, dont les travaux ne reprendront pas avant 9 septembre. Le sujet, vu son importance, ne quittera pas pour autant le devant de la scène internationale. Pétrole, croissance, devises, taux… Nous revenons sur les risques économiques et financiers associés, à ce stade, à une éventuelle intervention.
  • Pays émergents : situation de plus en plus critique. Les mesures d’urgence adoptées par les pays en crise peuvent calmer les tensions un temps. Elles ne constituent pas, néanmoins, des réponses durables aux problèmes rencontrés par les pays en déséquilibre. Le risque de change est particulièrement élevé au Brésil, où l’appréciation de 100 % du taux de change réel en 10 ans, est un handicap aujourd’hui insupportable. La Chine, protégée des turbulences actuelles, n’est pas à l’abri des conséquences défavorables, à terme, de cette crise sur ses exportations.
  • Etats-Unis : un ensemble bien fragile pour envisager un « exit ». Frilosité des consommateurs, retournement immobilier, manque de visibilité du côté des entreprises… L’ensemble semble bien fragile à la veille de nouvelles tractations budgétaires, de la mise en place de la réforme de la santé et d’une possible intervention en Syrie, pour ne pas influencer la décision de la Fed. Nous continuons à privilégier la voie de la temporisation lors du prochain FOMC des 17 et 18 septembre.
  • Zone euro : place aux bonnes nouvelles, pour un temps. L’amélioration de la situation conjoncturelle prend le pas sur les inquiétudes structurelles. Sous l’impulsion domestique, 2013 est bien partie pour donner des résultats meilleurs qu’attendu. L’absence de relais international pose cependant question. Sans reprise de la demande mondiale, la croissance de la zone euro s’essoufflera rapidement.

L’enjeu de la prochaine réunion de la Fed : temporiser

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« La question n’est plus celle de savoir si la Fed s’apprête à réduire ses injections de liquidités mais de combien ?». C’est en ces termes que la plupart des observateurs analysent aujourd’hui la situation, à un mois tout juste de la prochaine réunion du FOMC. Le fait est qu’une marche arrière semble dorénavant difficilement envisageable. La Fed a en effet probablement obtenu ce qu’elle souhaitait, à savoir, l’amorce d’une normalisation du niveau de taux d’intérêt à long terme et un début de ré-allocation des flux d’investissement que de nombreux responsables monétaires appelaient de leurs souhaits. Invalider les anticipations aujourd’hui à l’œuvre provoquerait dès lors plus de désordre qu’autre chose. Il n’en reste pas moins, qu’aucune des statistiques économiques à partir desquelles les marchés ont consolidé leurs anticipations ces dernières semaines n’est véritablement convaincante d’une meilleure santé retrouvée de l’économie américaine. Les signes de fragilité sont ainsi bien trop nombreux pour assurer que l’économie ait la capacité à faire face à une normalisation de ses conditions de financement.

Bernanke et le piège d’un taux de chômage à deux visages

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La dernière fois où l’économie américaine a franchi le seuil d’un taux de chômage de 6,5 % à la baisse, les États-Unis connaissaient une croissance de l’ordre de 3 %, les dépenses réelles des ménages progressaient à un rythme proche de 4% par an, les créations mensuelles d’emploi frisaient les 300 000 et la croissance annuelle des salaires était légèrement supérieure à 2,5 %. C’était en mars 1994, ou, dans des conditions semblables, en mars 1987, voire en décembre 1977. Dans chacun de ces cas, le degré d’utilisation des ressources en main d’œuvre et en capital était proche de son potentiel et justifiait un durcissement plus ou moins marqué des conditions monétaires, qui chaque fois s’est traduit par un cycle de hausse des taux. L’épisode 2003-04 est assez différent. Non seulement le taux de chômage s’était installé sous la barre des 6,5 % depuis une dizaine d’années mais les signes avant-coureurs d’un risque de surchauffe étaient totalement absents du panorama conjoncturel. C’est ainsi, à la mi-2004 seulement, alors que le taux de chômage oscillait à un niveau moyen de 5,5 % que la Fed entama son cycle de hausse des taux. A posteriori, cet ajustement tardif fut considéré par beaucoup comme une erreur, en partie à l’origine de la formation de la bulle immobilière, dont on connaît aujourd’hui l’issue.

Ainsi, lorsqu’il y a quelques mois, la Fed dut donner des indications sur ce qui guiderait l’orientation future de sa politique monétaire, il ne fait aucun doute que ce niveau de 6.5% du taux de chômage est apparu suffisamment pertinent pour occuper une place de choix dans la gestion du dispositif de sortie de sa politique quantitative.

Les interrogations sur la justesse de ce choix n’en restent pas moins entières, car derrière un même taux de chômage pourrait bien se cacher, aujourd’hui, une situation beaucoup plus fragile que celles habituellement observées dans des circonstances passées, apparemment semblables. 

« Effets richesse », de quoi parle-t-on exactement ?

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L’idée que les effets richesse liés à la hausse des prix des actifs financiers et immobiliers devraient soutenir la croissance de la consommation aux États-Unis est fréquemment citée comme l’un des éléments majeurs de la confiance retrouvée dans l’économie américaine. Cet espoir est largement contestable dans le cas présent, rappelons pourquoi.

Ce que les économistes qualifient d’effet richesse correspond à une réalité très précise, à savoir : une modification du comportement d’épargne des ménages consécutive à un changement de valorisation de leur patrimoine. Dans le cas d’une hausse de la valeur de ce dernier, pouvant résulter d’une évolution favorable des prix immobiliers ou des actifs financiers, l’effort consenti à l’accumulation de richesse, que mesure le taux d’épargne, a généralement tendance à diminuer et à libérer ainsi davantage de place pour les dépenses de consommation. Ce surcroît de consommation correspond à ce que l’on appelle l’effet richesse.

Ces effets richesse ont été particulièrement importants dans les années 2000. On peut, par exemple, démontrer que la hausse des prix de l’immobilier a expliqué à elle seule, jusqu’à un point de baisse du taux d’épargne des ménages américains chaque année entre 1998 et 2007, ce qui a permis d’alimenter une croissance des dépenses de consommation à un rythme supérieur à ce qu’aurait autorisé la seule progression du pouvoir d’achat, alors ralentie par la mollesse des créations d’emploi. Le sentiment de richesse provenant de la hausse de la valeur des actifs est, en outre, un facteur rassurant dont les effets peuvent également être notables sur la confiance des ménages, ce qui constitue un socle favorable à la consommation. Enfin, dans les pays où le marché de l’hypothèque est fortement développé, une meilleure valorisation du patrimoine permet de re-solvabiliser les ménages et, ainsi, de redonner un plus large accès au crédit. Ces mécanismes sont, au total, susceptibles d’avoir des conséquences majeures sur la conjoncture économique qui seraient particulièrement bienvenus dans le contexte actuel où la politique de la Fed a plus d’effets positifs sur les prix des actifs que sur l’activité réelle.

Il existe toutefois un certain nombre de limites à l’enclenchement de ces effets richesse :

  • La première, de loin la plus importante, est celle du taux d’épargne. Les enchaînements décrits ci-dessus ne créant pas directement de revenu, leur impact sur la croissance passe nécessairement par une baisse du taux d’épargne. La place pour les effets richesse dépend donc dans une large mesure du niveau du taux d’épargne. Or, celui-ci étant d’ores et déjà très faible aux États-Unis, à 2,5 % du revenu disponible en avril, sa marge de baisse supplémentaire est extrêmement réduite, pour ne pas dire inexistante.
  • La seconde, est relative au niveau d’endettement et aux effets bénéfiques de la hausse des actifs sur la capacité d’emprunt des ménages, ceux-ci ne pouvant s’exercer que lorsque le taux d’endettement a encore une marge de hausse, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas aujourd’hui aux États-Unis. Il est important ici de ne pas faire d’amalgame entre l’allègement du coût de la dette des ménages et le taux d’endettement. Le premier s’est effondré dans le sillage de la baisse des taux d’intérêt et des renégociations de prêts qui s’en sont suivies, ainsi que des annulations de dettes consécutives aux nombreuses saisies immobilières de ces dernières années. Cet allègement du coût de la dette a permis de libérer des revenus qui ont considérablement soutenu la croissance du pouvoir d’achat depuis deux ans et ont largement participé à la reprise de la consommation. Toutefois, il ne s’agit pas là d’effet richesse à proprement parler et ce mouvement étant déjà derrière nous, il n’a pas lieu de jouer un rôle stimulant pour la consommation future. Le taux d’endettement, qui mesure le stock de dette en proportion des revenus, est le seul véritable déterminant de la capacité d’emprunt des ménages. Or, ce dernier reste très élevé, à peine inférieur de 20 % aux niveaux extrêmes atteints avant la crise, c’est-à-dire encore très supérieur à sa moyenne de long terme. Cette situation laisse probablement très peu d’espace à une remontée substantielle du taux d’endettement, qui serait d’ailleurs contre nature après une crise de la dette telle que nous venons de traverser.

Cette lecture explique dans une large mesure notre plus grande réserve sur les perspectives de consommation américaine dans un contexte de faible création d’emploi.

taux d'endettement US

Etats-Unis, ne nous emballons pas !

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Après un début d’année marqué par un regain d’incertitude, un vent d’optimisme souffle à nouveau sur les perspectives américaines. Celui-ci est assez légitime au regard de la bonne résistance de la croissance au durcissement de la politique budgétaire et fiscale, de la poursuite de la reprise immobilière et du caractère toujours très accommodant de la politique monétaire de la Fed. Mais ne nous emballons pas ! Les données économiques récentes ne sont pas plus encourageantes qu’elles ne l’étaient à la fin de l’année derniere. Le ralentissement des gains de productivité et ce qu’il augure en matière de croissance des profits, d’investissement et d’emploi pour les prochains trimestres pourrait, en particulier, se traduire par un nouveau coup de mou de la croissance au second semestre. Avec un policy-mix dorénavant moins accommodant, les conditions pour une impulsion digne d’une véritable reprise ne sont toujours pas en place. Ceci a plusieurs conséquences sur notre sentiment :

  • une certaine réserve quant aux perspectives de changement imminent de politique monétaire, associée à la crainte d’un retrait trop rapide du soutien de la Fed,
  • un faible degré d’inquiétude sur l’évolution du marché obligataire américain et le cours de l’euro mais une relative prudence quant aux développements des marchés d’actions, susceptibles d’être plus vulnérables à des déceptions sur la croissance,
  • une confiance très faible dans la capacité de l’économie américaine à retrouver son rôle de locomotive à l’échelle mondiale d’ici la fin de l’année.

Moniteur de l’inflation mondiale

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La chute de l’or acte la montée du risque déflationniste

Les déceptions conjoncturelles de ces derniers temps ont modifié la perception du risque inflationniste. Depuis le début du mois de mars, les anticipations d’inflation à dix ans du marché obligataire américain ont enregistré un repli de 30 points de base, le plus important depuis un an. Dans le même temps, le décrochage des cours de l’or est venu valider un scepticisme croissant à l’égard des politiques de reflation des banques centrales. Les tendances en place à l’échelle mondiale ne suggèrent pas de retournement rapide de ce sentiment :

  • Avec des taux d’inflation nettement inférieurs à 2 % et en repli, les pays industrialisés se rapprochent pour la plupart de la zone de risque déflationniste. Le haut niveau de taux de chômage et le faible degré de sollicitation des capacités ont des effets dépressifs notables sur la croissance des salaires et des prix à la production, que la détente des coûts énergétiques accentue. 
  • L’accélération de l’inflation observée dans un nombre croissant de pays émergents concerne des économies à faible influence internationale : l’Inde, la Russie, le Brésil ou l’Argentine principalement. Les exportateurs de produits manufacturés d’Asie conservent de bas niveaux d’inflation, beaucoup plus proches des standards des pays avancés. 

Ces tendances ont donc tout lieu d’encourager une accentuation de la détente monétaire au niveau mondial.

Politiques monétaires : trop de disparités pour être efficaces

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À la UneLes politiques de reflation menées par les grandes banques centrales peinent à porter leurs fruits. Malgré des taux directeurs partout historiquement bas et la multiplication des mesures non conventionnelles le crédit ne décolle pas, la croissance économique reste bridée et les niveaux d’inflation, jusqu’à récemment soutenus par l’évolution des cours des matières premières et des hausses de taxes, s’affaissent aujourd’hui dangereusement. L’absence de coordination des politiques monétaires, l’incapacité des banques centrales à compenser les effets de la restriction budgétaire et un processus de désendettement toujours très handicapant pour la croissance sont simultanément à l’origine de cet échec collectif. Ces conditions sont préoccupantes. Elles alimentent le risque d’une crise beaucoup plus longue que généralement anticipé et celui d’une déflation rampante susceptible de pousser certaines réactions de politique économique dans leurs retranchements. Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas la légitimité de l’action des banques centrales qui est aujourd’hui en cause mais le fait que leur action combinée ne soit pas allée assez loin.