La Fed, pas si « dovish »

Ce n’est pas tant sur la hausse de ses taux que sur ce qui l’accompagnerait que la Fed était attendue. Or, le communiqué est clair : la Fed est en mode de resserrement. Rien ne laisse supposer dans l’analyse publiée à l’issue du FOMC un exercice de remontée des taux directeurs particulièrement étalé dans le temps. La Fed a fait ses comptes : il suffit que les prix du pétrole se stabilisent pour que l’effet de base négatif de leur chute passée sur le taux d’inflation s’estompe. Nous retrouvons là nos propres estimations (voir à ce sujet Regain des anticipations d’inflation) selon lesquelles, aux cours actuels du pétrole, le taux d’inflation devrait remonter de près de cinq dixièmes au premier trimestre. Avec des mesures de l’inflation sous-jacentes pour la plupart déjà aux environs de 2 %, la Fed ne souhaite pas rester inerte face à un tel changement.

Sauf poursuite de la chute des cours du pétrole à un rythme suffisamment rapide pour prévenir ce tassement des effets de base, la Fed s’apprête donc à relever le niveau de ses taux en début d’année prochaine, sinon dès la prochaine réunion, du moins à celle de mars.

L’ensemble est moins accommodant que généralement anticipé et il faudra vraisemblablement un nouveau flot de mauvaises nouvelles conjoncturelles pour convaincre que la Fed ne relèvera pas ses taux autant que le suggèrent ses propres prévisions (deux fois plus agressives que ce qu’intégraient les marchés ces derniers jours).

À brève échéance, ces éléments suggèrent une accélération à la hausse des taux longs et du dollar ; une bonne nouvelle relative pour les bourses européennes et japonaise, moins bonne en revanche pour les marchés émergents, notamment chinois et hongkongais (la Banque centrale de Hong-Kong a suivi la Fed en relevant de 25 point de base son taux directeur).

La communication de la Fed ouvre la voie à un regain de volatilité sur les marchés de taux. À ce titre, une stabilisation des cours du pétrole pourrait créer les conditions d’une embardée des taux longs rapidement dommageable aux perspectives de croissance. Les développements sur le marché pétrolier auront en toute état de cause une influence déterminante sur l’évolution des anticipations de taux des jours à venir.

La BCE se ravise, enfin ! Une bonne nouvelle pour l’équilibre mondial

 

L’annonce d’une baisse de seulement 10 points de base de son taux de dépôt, contre 15 points généralement anticipé, avait donné le ton avant la conférence de presse de M. Draghi ; la BCE ne jouerait pas la surenchère. Les annonces qui suivirent le confirment, la BCE a fait le minimum. En d’autres termes : aucune augmentation du rythme d’achat mensuel de ses achats d’actifs, toujours fixés à 60 milliard par mois, la BCE s’étant contentée de prolonger ce programme jusqu’en mars 2017 au moins.

Il s’agit à l’évidence d’un revirement par rapport à ce qu’avait laissé entendre Mario Draghi lors de ses différentes interventions, y compris les plus récentes. Comment expliquer cette volte-face ?

Nous avons suffisamment communiqué sur notre incompréhension à l’idée d’une augmentation du programme d’achats d’actifs et sur les risques qu’elle comportait pour ne pas manquer d’éléments de compréhension (Quelles sont les motivations de M. Draghi?)

  • relative solidité de la croissance en zone euro,
  • ressaisissement généralisé de l’inflation sous-jacente
  • rapide augmentation des coûts salariaux en Allemagne
  • disparition des effets de base pétroliers, susceptibles de faire remonter les taux d’inflation brutalement en début d’année (Regain de volatilité en vue des anticipations d’inflation
  • risque de chute incontrôlée de l’euro alors que la Fed s’apprête à remonter ses taux directeurs
  • risques de tensions en cascade dans le monde émergent (BCE-FED, le clash)

Inflation hors energie UEMEnergie et CPI UEM

Si incompréhension il y a, c’est donc davantage dans le fait que Mario Draghi n’ait pas préparé les marchés à son changement de perception avant la réunion aujourd’hui plutôt que sur les bonnes raisons à l’origine des décisions prises.

Quoi qu’il en soit, la décision de la BCE est incontestablement la bonne et, bien qu’à l’évidence une mauvaise nouvelle pour les marchés européens, elle constitue, au contraire une bonne nouvelle pour les marchés du reste du monde par rapport à ce que l’on pouvait redouter d’une action d’envergure.

 

Fed, la messe de décembre n’est pas dite

Les réserves que nous avons émises ces derniers temps sur un passage à l’acte de la Fed en décembre sont incontestablement renforcées par les mauvaises nouvelles en provenance de l’activité reçues aujourd’hui. Avec un ISM manufacturier à 48,6, l’industrie américaine est vraisemblablement en récession, en effet, et relever le niveau des taux directeurs dans de telles conditions pourrait constituer une erreur gravissime.

Toutes choses égales par ailleurs, les chiffres d’aujourd’hui devraient donc forcer la Fed? à patienter encore malgré sa volonté. Il est toutefois difficile de raisonner de la sorte, notamment à trois jours des chiffres mensuels sur l’emploi? du mois de novembre, plus encore ceux des salaires.

Dans quelle position serait la Fed si la croissance des salaires venait, par exemple, à continuer à se raffermir?… Passerait-elle à l’acte malgré les mauvaises nouvelles en provenance de son industrie et le risque évident de récession qu’elle ferait encourir à l’économie américaine ? Le schéma ne semble pas exclu à en juger par l’impatience affichée par bon nombre de membres de board de la Fed… à moins que les chiffres d’emploi soient définitivement mauvais. Dans l’un ou l’autre cas, la situation n’augure rien de bien réconfortant.

ISM manuf

Monnaie de réserve ou non le yuan devra subir un ajustement à la baisse

La décision du FMI d’inclure le renminbi au panier des monnaies de réserve ne modifie pas la donne : la surévaluation du yuan est insupportable pour le premier atelier et premier exportateur au monde.

En stabilisant son taux de change vis-à-vis du dollar américain ces dernières années, la politique chinoise a conduit à une appréciation inconsidérée de sa devise dont la valeur moyenne s’est appréciée de plus de 30 % ces cinq dernières années, tant en termes nominal que réel. La Chine subit, ainsi, au même titre que l’économie américaine, l’appréciation du billet vert à l’égard du reste du monde ; à cette différence près que sa machine économique est beaucoup plus largement dépendante des exportations que ne l’est l’économie américaine.

Yuan effectifYuan vs main

L’effet éminemment déflationniste de l’appréciation du renminbi explique une bonne part des difficultés de l’économie chinoise de ces dernières années et, par ricochet, celles de l’économie mondiale. Ainsi, quoi qu’en disent les autorités, on voit mal comment, sauf dépréciation inattendue du billet vert, la Chine pourra éviter de procéder à un ajustement de son taux de change, sous une forme ou sous une autre, l’an prochain.

 

Le 28 octobre, la Fed faisait encore tourner ses modèles

Intéressante, l’introduction des minutes du dernier FOMC de la Fed sur la redécouverte des taux d’intérêt réels d’équilibre comme possible instrument de pilotage de la politique monétaire. Dommage que ces travaux ne nous disent pas quel taux réel (r*) est le plus approprié entre celui résultant de l’écart des taux directeurs à l’inflation totale et celui calculé sur la base de la seule inflation sous-jacente. Car il s’agit bien là de la principale question à l’origine de la complexité de la situation en présence. Les écarts d’inflation étant ce qu’ils sont selon que l’on intègre ou non les prix de l’énergie, la mesure des taux réels varie d’autant, soit de quasiment 2 % ! Sauf à faire plaisir aux économistes, ces travaux n’apportent donc pas encore de réponse sur la politique la plus appropriée à la conjoncture actuelle.

taux reels US

C’est bien cette indécision que retranscrivent les minutes du dernier FOMC publiées ce mercredi selon lesquelles la Fed se laissait encore toutes les portes ouvertes… y compris, mais pas seulement, celle d’une éventuelle hausse de ses taux d’intérêt dès le mois de décembre, en fonction des informations économiques publiées d’ici là.

En d’autres termes, au contraire de ce qu’ont intégré les marchés depuis deux semaines, le diagnostic de la Fed était loin d’être arrêté le 28 octobre. Les anticipations de ces derniers jours pourraient donc subir un léger contrecoup, laissant un peu plus de place au doute quant à un passage à l’acte effectif en décembre. Dans de telles conditions, les anticipations sur les taux futurs pourraient retomber quelque peu et le dollar être moins sollicité quand, simultanément, l’attention des marchés sur les publications économiques risque fort de monter d’un cran par rapport à ces derniers jours.

L’indice ZEW allemand se redresse après sept mois de baisse

L’indicateur ZEW du climat des affaires semble avoir touché son point bas en octobre, au terme de sept mois de repli. En novembre, pour la première fois depuis le mois de mars, le solde d’opinions des perspectives des analystes interrogés est ressorti en hausse de 8,5 points, à 10,4, après un point bas à 1,9 en octobre. L’indicateur sur les conditions courantes, a par ailleurs, conservé un niveau solide, de 54,4 points, encore proche de ses plus hauts du printemps.

Comme nous l’avions exprimé en début d’année (voir en autres publications sur ce sujet « L’indice ZEW sonne-t-il la fin de la partie pour le DAX ? » du 17 mars) les signaux envoyés par l’enquête ZEW sont souvent beaucoup plus pertinents que généralement considérés.

Généralement en avance sur l’IFO, les anticipations du ZEW constituent un bon indicateur avancé de la conjoncture allemande tandis que les détails sectoriels permettent également d’affiner le suivi des tendances sous-jacentes de l’activité.

De l’enquête publiée ce matin nous retirons deux éléments.

  • Une bonne tenue persistante des tendances domestiques que retrace en particulier le maintien à haut niveau du solde d’opinion du commerce de détail et de la construction.

ZEW domestique

 

  • Une stabilisation, voire un léger rebond des perspectives des secteurs les plus exposés à l’exportation que sont notamment la mécanique, la chimie, l’électronique et l’automobile à l’origine, ces derniers mois, du repli du climat de confiance.

ZEW export

L’ensemble est plutôt de bon augure, suggérant, comme nous l’avons souligné ces derniers temps, une meilleure capacité de résistance de l’économie allemande à la détérioration de l’environnement international, dans un contexte domestique très porteur.

Ces tendances incitent à relativiser la déception occasionnée par la publication d’une croissance de seulement 0,3 % au troisième trimestre dans un contexte européen également plus favorable.

Après l’effroi, des questions, peu de réponses

L’effroi provoqué par les événements de vendredi 13 novembre à Paris n’est pas forcément de bon conseil pour envisager l’impact des attentats sur l’économie française. La force d’inertie, peut, en effet, être surprenante au regard du choc psychologique qu’occasionnent de telles circonstances, de sorte que les liens de cause à effet sont assez largement aléatoires. On ne constate, par exemple, aucun choc de confiance significatif ou durable à la suite des attentats de grande ampleur qu’ont été ceux du World Trade Center en 2001, de Madrid en 2003 ou les épisodes français de 1996 ou janvier 2015. Cette observation est assurément troublante quand on sait le traumatisme connu par les populations concernées à chacun de ces moments mais nous rappelle qu’il existe une réelle capacité de discernement entre le sentiment personnel d’un individu et son rôle en tant qu’agent économique.

Conclure à une plus grande fragilité des perspectives françaises après les attaques de vendredi dernier est donc assez illégitime malgré, sans doute, des effets frictionnels envisageables en particulier sur le front touristique, sur celui de la fréquentation des grands magasins ou encore des plans d’investissement des entreprises.

Mais ne nous trompons pas, la tragédie de Paris ne sera pas sans lendemains et c’est bien de ceux-ci que découleront, sans doute, les effets économiques les plus marqués et probablement les plus durables. Or, de ces lendemains nous ne savons que bien peu de choses :

– Quelles seront les retombées de ce qui s’est passé vendredi dernier en matière de gestion du conflit syrien et d’implication militaire dans la région de la France et de ses alliés ?

– Comment la France parviendra-t-elle à gérer les multiples fronts sur lesquels elle s’est engagée ces derniers trimestres, l’Europe finira-t-elle par s’impliquer, comment ?

– Quelles pourraient être les implications d’une telle situation sur l’évolution des cours du pétrole et plus généralement la situation géopolitique internationale ?

– Qui financera quoi et comment ?

– Comment peut évoluer la politique migratoire européenne dans un tel contexte ?

Force est de constater que le nombre de questions l’emporte largement sur les réponses que nous serions susceptibles de formuler. Si, effectivement, les perspectives immédiates n’ont pas lieu d’être modifiées à ce stade, ce qui s’est produit à Paris vendredi dernier, dans les circonstances en présence, ne permet plus de laisser la dimension géopolitique sur le bas-côté des perspectives de plus long terme. Nous l’avions pressenti lors de la formulation de l’invitation à notre réunion trimestrielle, reste maintenant à aiguiser nos outils pour faire face à ce défi auquel notre génération d’économistes, par chance, s’est bien peu rodée jusqu’alors.

L’honneur est sauf

Avec 271 000 emplois créés en octobre, un nouveau repli de chômage à 5 % (contre 5,1%) et une accélération des salaires de 0,4 %, soit 2,5 % sur un an, la voie se dégage pour Janet Yellen qui devrait être confortée dans sa stratégie de remontée des taux directeurs en décembre.

Salaires US emploi US

Les répliques des marchés à ce changement de décor pourraient être marquées, plusieurs mouvements sont à attendre :

  • Une remontée accélérée des taux longs, le rendement des T-Bonds à dix ans, remonté à 2,30 % dès la publication du rapport sur l’emploi, pourrait grimper sans tarder vers 2,50%, voire au-delà si les données à venir confortent l’idée d’un mouvement durable de hausse des taux.
  • Une accélération du mouvement d’appréciation du dollar à l’égard des devises des pays développés, l’euro et le yen notamment compte-tenu du creusement des écarts de politique monétaire.
  • Un nouveau repli des prix des matières premières, les attentes en matière de demande étant peu susceptibles d’être modifiées tant que les nouvelles en provenance de Chine ne seront pas plus encourageantes tandis que la hausse des taux risque de créer des flux sortants sur ces actifs (pétrole, et or notamment)
  • L’impact sur les marchés d’actions est plus complexe, tiraillés entre la bonne nouvelle d’une économie américaine plus solide et les craintes de fin de cycle que risque de susciter l’enclenchement du cycle de hausse des taux, les marchés américains risquent de répliquer négativement avec pour effet de contenir l’impact positif de la chute de l’euro sur le marché européen.

L’horizon est toutefois loin d’être dégagé. À chaud, ce changement suscite au moins trois questions susceptibles de tarauder les marchés dans les jours à venir :

  1. Quid de la décision de la BCE s’élargir son quantitative easing dans un contexte de repli d’ores et déjà substantiel de l’euro ?
  2. Quid des pays producteurs de matières premières susceptibles d’être doublement chahutés par un repli des cours sur fond, qui plus est, de hausse du dollar ?
  3. Quid des pays dont le taux de change est encore arrimé au dollar (la Chine) quant à leur capacité à faire face à une appréciation de leur taux de change ?

Auxquelles nous ajouterons nos doutes quant à la capacité de l’économie américaine à faire face au double choc d’une remontée additionnelle du dollar et des taux à long terme…