Fine tuning à la chinoise et marges de manœuvre de la FED

La montée des anticipations de hausse des taux de la FED de ces derniers jours finirait selon toute vraisemblance par déclencher une nouvelle baisse du yuan, elle-même source potentielle de regain d’instabilité sur les marchés des changes. Restait toutefois la question du délai avec lequel la Chine interviendrait. Cette dernière incertitude pourrait avoir été levée hier avec un fixing du yuan établi à 6,7066 CNY/USD par la Banque Populaire de Chine, son plus bas niveau depuis septembre 2010, et la confirmation de l’offensive ce matin, avec un taux de change à 6,7160 CNY.

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Que ces mouvements soient très limités importe moins que ce qu’ils nous disent, à savoir :

– Le cycle de dépréciation de la devise chinoise n’est pas terminé. Après avoir déprécié le Renminbi de quelques 10 % depuis son point haut de janvier 2014 vis-à-vis du billet vert, les autorités chinoises, non seulement, ne relâchent pas leur attention mais reviennent vite à la charge si l’on en juge par la fréquence des vagues d’ajustement de ces deux dernières années (plus proche de cinq à six mois que de trois mois comme aujourd’hui).

– Des réserves des autorités chinoises sur la solidité de la croissance. Alors que les indicateurs économiques de ces derniers temps ont plutôt renvoyé des signaux positifs en provenance de la conjoncture chinoise et que les autorités tentent de lutter contre la surchauffe du marché immobilier domestique, cette vigilance suggère une confiance toute relative de la Banque populaire à l’égard de la solidité de l’économie chinoise.

– Une complexité persistante pour un passage à l’acte de la FED. Les épisodes d’ajustement récurrents de la devise chinoise ont presque systématiquement accompagné les phases de réappréciation du dollar inhérentes à la montée des anticipations de hausse des taux des Fed Funds. Il en est systématiquement résulté un regain de tensions sur les marchés des changes et, par là-même, les marchés financiers, qui, chaque fois, ont retenu la FED de passer effectivement à l’acte. Si, aujourd’hui, les choses peuvent paraître différentes compte-tenu de la détermination d’un nombre croissant de membres de la FED à relever le niveau des taux d’intérêt, on comprend à quel point un tel changement pourrait se révéler source d’instabilités dans le reste du monde, en particulier en Asie. La Chine n’ayant guère les moyens de laisser filer sa devise contre un yen potentiellement affaibli par la remontée des taux de la FED reviendra à la charge, c’est presque certain…

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C’est bien dans le détail que se cachent les diables susceptibles d’emprisonner la FED une nouvelle fois d’ici la fin de l’année ou de lui faire prendre des risques, trop largement, insoupçonnés.

NFP – possiblement suffisant pour faire pencher la balance du côté des hawks

Un rapide tour d’horizon des statistiques tout juste publiées aux Etats-Unis.

Les créations d’emplois ressortent à 156 000 en septembre, légèrement en retrait des données attendues. Par ailleurs, le taux de chômage remonte d’un dixième, de 4,9% en août à 5%, de quoi potentiellement rabattre les anticipations de hausse des taux directeurs.

Toutefois :

  1. Les chiffres de juillet sont révisés en légère hausse (167 000 au lieu de 151 000)
  2. Les créations des seuls emplois privés progressent plus fortement que le total, de 167 000, du fait d’une contraction des emplois des Etats et collectivités locales (signe vraisemblable de difficultés budgétaires accrues à ce stade de l’année…)

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Les plus « hawks » des membres de la FED peuvent donc considérer ce rapport comme convenable, à ce stade du cycle. Ceci d’autant plus que la croissance des salaires s’accélère, à 2,7% pour les emplois non-cadres, le plus haut niveau depuis janvier 2010. Par ailleurs, la durée hebdomadaire du travail, qui avait donné un très mauvais signal le mois dernier, s’est légèrement reprise.

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Au total, bien que médiocre, ce rapport pourrait ne pas être suffisamment mauvais pour inquiéter les membres de la FED les plus impatients de passer à l’action. 

L’incertitude sur la politique monétaire américaine risque par conséquent de perdurer et les propos de ses membres d’être suivis de très près et d’alimenter la volatilité. A ce titre, la communication de Stanley Fischer dans moins de deux heures pourrait être décisive pour donner le ton, sinon le mot de la fin, aux marchés après ce rapport sur l’emploi.

Flash Crash de la livre – Si les machines ont encore frappé, c’est peut-être qu’elles sont trop bien réglées…

L’actualité de la nuit inspire forcément quelques réflexions matinales après le « Flash Crash » de la livre qui a valu à la devise britannique une chute de quelques 6% contre le dollar en quelques instants cette nuit en Asie. Largement incombé au déraillement de machines, l’événement n’a pas plus ému et a de fait été corrigé dans sa quasi intégralité depuis.

Les folles machines pourraient, pourtant, nous avoir mis sur la piste de ce qui pourrait bel et bien se produire si, par mégarde, le rapport sur l’emploi américain de cette après-midi venait renforcer le scénario de remontée des taux directeurs de la FED en décembre, voire novembre, qui sait!

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Car dans un tel cas de figure, le plus probable serait en effet de voir les taux à deux ans américains se tendre très significativement. Si l’on reproduit le schéma de décembre dernier, ils pourraient remonter à 1,10% (niveau qu’ils avaient atteint fin décembre 2015 après la hausse des Fed Funds) ce qui constituerait dans le cas présent une envolée de près d’un quart de point. A taux inchangés côté britannique, un scénario somme toute envisageable dans la situation présente pré-Brexit effectif, l’écrasement du spread de taux entre les deux pays, justifierait en effet une baisse très conséquente de la livre contre le dollar, de l’ordre précisément de ce qui s’est produit cette nuit… Pas si folles les machines!

Ah qu’il va être compliqué de passer à l’acte pour la FED…

Contre-pied fatal

Difficile de dire si, en l’absence de la décision de la cour de justice américaine d’imposer une amende de 14 milliards de dollars à Deutsche Bank, notre stratégie relativement favorable au secteur bancaire aurait été validée. Toujours est-il que les développements de ces tout derniers jours n’incitent certainement pas à persister dans la voie que nous avons défendue : le secteur bancaire s’enlise dangereusement et rien de permet d’envisager à ce stade quel sera le coupe-circuit susceptible de stopper le mouvement de défiance en place. Relayée par l’affaire Wells Fargo aux États-Unis, l’inquiétude européenne prend une tournure de plus en plus globale qui nécessitera des annonces et prises de décisions pour être enrayée.

Au regard de la fébrilité des marchés de ces dernières semaines, l’éventualité que la crise Deutsche Bank dégénère en une nouvelle crise boursière internationale est non négligeable. 

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À brève échéance ce regain de crispations a tout lieu d’amplifier les pressions baissières sur les niveaux de taux à long terme. Il est vraisemblable que les anticipations relatives à une hausse des taux directeurs de la FED pâtissent de la situation en présence ce qui pourrait limiter l’impact négatif des turbulences actuelles sur le cours de l’euro dollar.

OPEP, un accord de façade sans conséquence sur les déséquilibres en place

Si le sommet informel de l’OPEP ne peut être qualifié d’échec total, les pays membres étant parvenus à gommer leurs profonds différends pour communiquer sur un accord de réduction de leur production, on serait bien avisé de se pencher sur la réalité de ce dernier avant de tirer des plans sur la comète.

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Selon les chiffres officiels, la production des pays membres s’élevait à 33,24 millions de barils par jour en août, soit un niveau supérieur de 3,24 mbj au quota officiel de 30 mbj fixé depuis janvier 2012. Or l’organisation ne propose pas de baisser ce quota mais seulement de baisser les excès par rapport à cette limite et encore, dans de proportions bien réduites. Il s’agit en effet de s’engager sur un repli de la production dans une fourchette de 32,5 à 33 mbj, en d’autres termes d’un effort en tout et pour tout de 1 % à 3 %, contre un excédent de quasiment 11 % par rapport à l’objectif en présence. Une goutte dans un verre d’eau qui pourrait, si par mégarde les prix mondiaux venaient à reprendre durablement quelques dollars, être annulée sans délai par la remontée de la production des pays non-membres de l’OPEP, États-Unis en tout premier lieu dont on a assurément du mal à imaginer un possible engagement à réduire sa production malgré la volonté de l’OPEP d’engager les échanges avec les autres producteurs.

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Au total, pas de quoi changer la donne d’un marché pétrolier mondial déprimé par les excès d’offre chroniques. Il n’est dès lors guère surprenant que les prix retombent déjà après l’euphorie de la nuit dernière suscitée par la surprise d’un accord auquel plus personne ne croyait plus.

Pas de panique, la hausse des taux c’est pas pour tout de suite, on attendra les élections pour y voir plus clair… ça promet !

Communiqué, conférence de presse, décryptage des mots, tournures, assurance de Janet Yellen, le rituel post FOMC bat son plein, comme c’est le cas depuis deux ans après chaque réunion du comité de politique monétaire de la FED, toutes les six semaines. Pour autant, rien de nouveau. Les dés restent suspendus à cette phrase « le comité estime que le cas pour une hausse des taux des Fed Funds s’est accru, mais il a décidé, pour l’instant, d’attendre d’avoir plus d’évidence d’une poursuite des avancées vers ses objectifs ». Sage décision car ces évidences pourraient se faire attendre encore longtemps à en juger par la tournure récente des indicateurs économiques américains. Dès lors, si notre analyse est la bonne, l’inconfort de Janet Yellen lors de sa conférence de presse, ne devrait pas durer, à moins que celui-ci soit lié à d’autres préoccupations, celle, entre autres, d’être sur un siège éjectable en cas de victoire de Donald Trump à la présidentielle du 8 novembre prochain, une hypothèse de plus en plus difficile à ignorer.
Bien plus que les tergiversations sur l’évolution de la fonction de réaction de la FED, qui ont su faire diversion jusqu’à aujourd’hui, le dossier chaud n’est plus entre les mains de Janet Yellen mais bel et bien entre les mains des électeurs américains. Que la Fed agite ou non l’hypothèse d’une hausse de ses taux avant la fin de l’année a, dans une telle perspective, bien peu d’importance au regard des risques qu’encourrait l’économie américaine et le reste du monde en cas de victoire du candidat républicain D. Trump.
Il est, dans cette perspective, peu probable que cette nouvelle absence de décision de la FED, du reste largement anticipée, ait un quelconque impact significatif sur les marchés financiers, au-delà des atermoiements sans conséquence de la Banque du Japon dont la devise ne va clairement pas dans la direction recherchée…

BoJ : le grand mécano

Ce matin la Banque du Japon annonce une grande nouvelle : elle déplace son objectif sur la pentification de la courbe des taux d’intérêt plutôt que sur le montant de ses achats d’actifs !

En d’autres termes :

  1. la BoJ se donne un peu plus de flexibilité, histoire, le cas échéant de contrer les mouvements intempestifs des marchés ;
  2. elle veille sur ses établissements financiers, lesquels n’ont guère été à la fête avec l’instauration de taux négatifs;
  3. enfin, et surtout, elle s’arroge tous les pouvoirs, ayant dorénavant entre les mains :
  • non plus le seul niveau des taux courts, traditionnel,
  • mais celui, de facto, des taux longs, dès lors qu’elle vise un objectif de courbe des taux,
  • sans oublier la main mise sur le marché d’actions via son programme d’achat d’ETF…

La BoJ étant traditionnellement friande d’interventions sur les marchés des changes, que n’a-t-elle pas en son pouvoir ?

Difficile, dans de telles conditions, d’élaborer une quelconque stratégie, à moins d’être dans les petits papiers de la Banque centrale japonaise.

Si l’annonce d’aujourd’hui ouvre la porte à la possibilité d’une nouvelle baisse des taux directeurs, accompagnée le cas échéant, de moindres achats de JGB (nécessaire pour prévenir un ajustement proportionnel des taux longs et conserver ou pentifier la courbe afin de mettre les banques à l’abri), elle ne rassure guère sur la réalité de la situation en présence. Reste à espérer qu’à ce jeu de mécano économique auquel elle se livre depuis trop longtemps, la BoJ ne se trompe pas de pièce à un moment donné…

Les prix des services médicaux, élément le plus cyclique de l’inflation américaine !

La hausse de 0,3 % m/m de l’indice des prix à la consommation au mois d’août n’est pas de nature à calmer les esprits, dans le contexte particulièrement instable de ces derniers jours sur la politique de la FED. Si le taux d’inflation total conserve des niveaux très faibles, de 1,1 % seulement, l’inflation dite sous-jacente, hors énergie et produits frais, remonte, elle, de 2,2 % à 2,3 % entre juillet et août, de quoi faire grincer les dents des plus anxieux des membres du board sur le risque inflationniste.

À y regarder de plus près, pourtant, il y a dans les statistiques d’aujourd’hui bien peu d’éléments probants d’une accélération des tensions sur les prix. Les prix des biens durables continuent à baisser sur une tendance annuelle de -2 % l’an, identique au mois de juillet. La hausse des prix dans les services, dont les tendances sont les plus susceptibles de renseigner sur une éventuelle surchauffe domestique n’a, par ailleurs, pas grand-chose de convaincant. Principalement tirée par les loyers jusqu’à la fin de l’année dernière, l’inflation donne des signes de regain plus généralisé depuis ; avec un taux annuel hors loyers de 2,6 % en août, dans le prolongement haussier de la tendance de ces derniers mois. Bien que très inférieure à la croissance passée, plus proche de 3,5 % avant la crise de 2008, ces chiffres sont néanmoins de nature à suggérer un changement de contexte inflationniste domestique.

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Cette observation mérite toutefois d’être nuancée, en particulier parce qu’elle semble avant tout être le fruit d’une envolée des coûts des services de santé dont l’accélération est, en effet, très substantielle ces derniers mois. À 4,9 % en août, l’inflation du secteur est presque un point supérieure à ce qu’elle était en juillet et deux points supérieure à son niveau de janvier ! Hors ce poste, toutefois, l’inflation des services s’est stabilisée ces derniers mois et ne décrit, à ce stade, aucun signe de surchauffe.

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Comme pour les loyers, l’inflation des services médicaux est avant tout une question règlementaire sur laquelle la politique monétaire n’a que très peu d’influence. Ne pas prendre en considération ces distorsions dans le contexte présent d’extrême fragilité conjoncturelle serait assurément une erreur de la part de la FED. Espérons que Janet et Lael trouveront les arguments pour faire valoir la justesse de leur analyse !