Les comptes nationaux publiés cette semaine offrent des enseignements souvent passés inaperçus en première lecture. Parmi ceux-ci, le creusement des distorsions entre les pays du nord et du sud de l’Europe interpelle. Si la croissance de l’ensemble des vingt pays de la zone euro a pu ressortir un cran au-dessus de celle de 2023, à 0,7 % après 0,4 %, ce n’est pas, en effet, grâce à ses principaux pays dont les résultats sont, au mieux, restés inchangés (-0,2 % après -0,1 % en Allemagne, 1,1 % inchangé en France, 0,5 % après 0,8 % en Italie) mais grâce aux plus petits, parmi lesquels l’Espagne, le Portugal, la Grèce ou encore nombre de plus petites économies du sud européen.
Habituels, les écarts de croissance intra-zone euro ont néanmoins pris une dimension particulière l’an dernier, dont tout laisse penser qu’ils ont plus de chance de perdurer que l’inverse, ne serait-ce que par l’avantage que procure aux pays les plus dynamiques leur performance passée. Fin 2024, les acquis de croissance pour 2025 sont déjà de 1,3 % au Portugal et en Lituanie et de plus de 1 % en Espagne. Sans doute sera-ce le cas de la plupart des économies pour lesquelles les comptes de la fin 2024 ne sont pas encore disponibles mais qui se situent dans le haut du classement européen.
De tels écarts persistants sont loin d’être anodins. Si la performance du sud de l’Europe rassure, les conséquences de distorsions durables entre les pays d’un même bloc monétaire peuvent rapidement devenir déstabilisantes, à bien des titres. Après être remonté à 50 % du PIB régional en début de décennie, le poids de l’Allemagne et de la France réunies s’est effrité à 47,7 % l’an dernier. Inhérent au processus d’élargissement, ce phénomène n’est pas un sujet en soi mais pourrait le devenir s’il s’accompagne de déséquilibres croissants que des politiques unifiées amplifient plutôt que l’inverse, créant d’un côté des effets dépressifs additionnels et de l’autre des effets d’aubaine qui ne s’accompagnent pas forcément de progrès structurels proportionnels. C’est en particulier le défi de l’Espagne, quatrième économie de la zone euro qui, bien qu’ayant une nouvelle fois épaté par ses performances en fin d’année dernière pour clore une année de croissance de 3,2 %, peine à transformer ses succès conjoncturels en atouts de plus long terme.
Le risque dans un tel cas de figure est, non seulement, la formation de déséquilibres, à terme, très coûteux, mais que les écarts de croissance finissent par rendre caduque la politique monétaire de la BCE, comme déjà vécu pendant les années qui ont précédé la crise de 2008. Lointaine problématique ? Pas si sûr, si, comme l’a martelé Mme Lagarde cette semaine, la croissance revient en force en zone euro cette année.